L'article d'Aquarium Magazine Numéro 114
- septembre 1995
article publié avec l'accord du journal Aquarium magasine
LES DENITRATEURS
A partir des substances organiques continuellement
libérées dans l'eau, l'activité biologique de chaque aquarium
produit des constituants minéraux (nitrates, phosphates, sulfates, etc.),
qui s'accumulent donc. Il s'agit qu'ils n'atteignent pas le seuil de toxicité.
La consommation partielle de ces constituants par la végétation,
sous toutes ses formes, et leur élimination par les changements d'eau,
contribuent à décharger l'eau de l'aquarium de cette pollution.
Mais ce n'est pas toujours suffisant : le dénitrateur entre en scène...
Cet article s'intègre-t-il vraiment
dans la rubrique "l'aquarium récifal", du fait que dans ces bacs, le
taux de nitrates doit être pratiquement nul ? L’encadré campe parfaitement
la situation.
En outre, le sujet déborde largement, aussi bien en eau
de mer qu'en eau douce. D'autant plus que l'eau du robinet est plus ou moins
chargée en nitrates. Et parfois en d'autres constituants indésirables...
La situation est d'ailleurs fonction des animaux hébergés et de
leur tolérance.
Au niveau des caractéristiques de l'eau,
il faut bien distinguer l'eau neuve de celle qui évolue en aquarium.
L’eau neuve, c'est celle qui sert à remplir l'aquarium au départ,
puis à effectuer les renouvellements partiels.
L’eau neuve
Pour l'eau douce, tout dépend de ce que vous avez au robinet,
et des espèces hébergées. Si, dans ces conditions, vous
êtes en mesure de "diluer" votre eau de distribution, vous pouvez y ajouter
de l'eau osmosée, de l'eau déminéralisée, ou quelques
autres, comme les "eaux de montagne d'Auvergne". Vous pouvez aussi partir d'une
eau osmosée ou de même nature, et y ajouter des "sels" : cas typique
pour les Cichlidés du Tanganyika. Autre éventualité : partir
d'une eau très douce, et y ajouter de l'eau d'Evian. Lorsqu'une de ces
situations est possible, vous aboutissez, par rapport à l'eau de distribution,
à diminuer ou annuler le taux de nitrates, ainsi que les taux d'autres
constituants indésirables éventuellement présents.
Résumé : en eau douce, la situation est - non pas
compliquée... - mais complexe. Les informations nécessaires ont
été très souvent données dans Aquarium Magazine,
et nous y reviendrons dans d'autres articles.
Pour l'eau de mer, la situation est beaucoup
plus simple. Si, par chance, votre eau de distribution est très peu minéralisée
et ne contient pratiquement pas de nitrates, elle est parfaite pour dissoudre
les sels marins. Sinon, la seule solution sérieuse pour dissoudre vos
sels est d'utiliser de l'eau osmosée, obtenue à partir d'un osmoseur
de qualité. Ne partez surtout pas d'eau déminéralisée,
car elle est beaucoup trop chargée en "germes" bactériens.
Outre l'absence de "germes" bactériens, une bonne eau osmosée
présente l'avantage d'avoir un taux de nitrates pratiquement nul, et
d'être débarrassée de ses divers polluants éventuels.
Evolution de l'eau en aquarium
Bornons-nous ici aux nitrates. Leur absorption par les plantes
- y compris par les algues dites "inférieures" - a une action des plus
minimes en aquarium.
Les renouvellements partiels (avec une eau neuve sans nitrates...
) sont beaucoup plus sérieux. Mais, quelles que soient les conditions,
on aboutit à un certain taux de nitrates dans l'aquarium, du fait de
leur production permanente par "l'activité biologique".
Ce taux de nitrates peut être supportable pour beaucoup
de poissons, aussi bien en eau douce qu'en eau de mer.
Mais il peut être encore trop élevé pour les
animaux hébergés. C'est typiquement le cas pour la plupart des
invertébrés marins.
En dehors du cas des aquariums récifaux - là encore,
nous vous renvoyons à l'encadré - la seule solution fiable est
de mettre en service un dénitrateur. Pour les poissons d'eau douce comme
d'eau de mer, on peut considérer qu'un dénitrateur est utile parce
qu'il permet d'améliorer les conditions de milieu. Dans l'aquarium d'invertébrés
classique, c'est une bonne démarche que de le considérer comme
obligatoire.
Insistons sur le fait qu'un dénitrateur agit sur les nitrates
de manière efficace et ininterrompue.
L’odyssée de l'étrange,
ou la base du mystère
Dans des conditions anaérobies (c'est-à-dire
sans oxygène moléculaire libre), certaines bactéries exploitent
les molécules porteuses d'oxygène, comme les nitrates (NO3-)
ou les sulfates (SO42-). Ces bactéries peuvent
extraire l'oxygène de ces composés. C'est ce que l'on appelle
une réduction chimique. Mais elles n'effectuent cette assimilation que
si elles ne disposent pas d'oxygène moléculaire. C'est-à-dire
qu'elles doivent vivre dans un milieu ne contenant pas d'oxygène dissous.
Tant qu'il demeure un peu d'oxygène libre, les bactéries le consomment.
C'est seulement après qu'elles utilisent l'oxygène des composés.
En ce qui concerne les substances azotées, cette réduction anaérobie
prend le nom de, dénitrification : N03- -> N02-
-> NO -> N20 -> azote moléculaire N2 (gaz). En
aucun cas, la présence de nitrates ne suffit à l'élaboration
du processus. Et ce, même dans des conditions anaérobies. En effet,
les bactéries ont besoin de carbone organique, qu'elles vont oxyder avec
l'oxygène pris dans le milieu, puis sur les composés azotés.
Dans l'eau du dénitrateur, il doit donc y avoir suffisamment de carbone
organique disponible pour réduire à zéro l'oxygène
libre. Et il doit encore rester du carbone organique pour entretenir les bactéries
dénitrifiantes.
L’élaboration du dénitrateur
peut donc être résumée en trois étapes :
1. Création d'un milieu propice à l'activité
anaérobie.
2. Détermination d'une source adéquate de carbone
organique.
3. Mise en route et optimisation du bon fonctionnement du "réacteur".
Construire
un dénitrateur
D'une manière pratique (et générale),
on construit ou on achète un "filtre" à chicanes, couvert, équipé
ou non d'un trop-plein (selon son emplacement par rapport à l'aquarium,
voir Fig. 1) et dont le volume brut fait 1 à 2% de celui de l'aquarium.
On peut monter jusqu'à 4-5% dans des eaux où la production de
nitrates est très importante. Ces 4-5% constituent également un
"garde-fou" pour le cas où l'on alimenterait le dénitrateur avec
un débit insuffisamment faible.
L’oxygène étant, dans des conditions identiques
de température et de pression, plus soluble dans l'eau douce que dans
l'eau de mer, on allonge le parcours de l'eau dans les dénitrateurs des
aquariums d'eau douce. Soit en augmentant le nombre de chicanes pour un volume
donné, soit en augmentant le volume lui-même.
La combinaison d'un long trajet et d'un faible débit de
l'eau (le demi-volume du dénitrateur par heure avant de parfaire le réglage)
est idéale pour la création d'un milieu anaérobie.
L’approvisionnement en eau du dénitrateur est effectuée
en dérivant partiellement la sortie du filtre, ou d'une pompe de circulation
(voir Fig. 2).
Le dénitrateur est rempli d'une masse filtrante de maille
ou de calibre fin, chimiquement neutre. Peuvent être utilisés en
particulier le sable, les masses de pré filtration mécanique (Ehfifix
Fein de Eheim par exemple), à recommander en raison de leur légèreté
et de leur facilité d'emploi.
Lorsque le dénitrateur atteint son fonctionnement optimal,
la multiplication des bactéries dénitrifiantes et du "mulm" est
telle qu'elle peut entraîner le colmatage des masses filtrantes. Pour
éviter les inondations, on peut mettre un second trop-plein côté
entrée, à un niveau légèrement supérieur
à celui de sortie (voir Fig. 3).
Nutriments
organiques
Après plusieurs années
d'expérimentation, on peut dire avec certitude que les sources
de carbone organique adaptées aux dénitrateurs sont :
- le lactose (C12 H22 011),
- l'éthanol, en solution à 30%
- les pastilles Bio-nip de Sera, spécialement conçues
pour le biodénitrateur Sera.
En ce qui concerne les posologies à
adopter avant réglage définitif, on considère comme
réalistes les mesures suivantes, données pour un dénitrateur
de 20 à 30 litres (aquarium de 500 litres). Respectivement:
- une cuiller à café par semaine,
- une goutte toutes les deux heures,
- une pastille par semaine.
Les nutriments sont distribués à l'entrée
du dénitrateur.
Deux remarques importantes avant la
mise en route du dénitrateur.
1. Les bactéries dénitrifiantes, comme celles
d'un filtre biologique, "travaillent" mieux dans l'obscurité.
2. Dans la mesure du possible, renvoyer le trop-plein du
dénitrateur dans le filtre biologique. En effet, en cas de dérèglement
du dénitrateur (voir ci-dessous), la pollution résultante
sera oxydée plus rapidement par le filtre si elle y arrive sans
être diluée dans l'aquarium.
Reconnaissons qu'il s'agit presque d'une mesure de conscience,
étant donné l'écart des débits mis en jeu...
Le dénitrateur ayant son emplacement
définitif dans le circuit d'eau, le remplir d'eau et la laisser
stagner quelques jours. Le temps qu'elle dégaze son oxygène.
Commencer ensuite l'apport de nutriments, et mettre en route la circulation
sur les bases chiffrées précédemment. Les bactéries,
inévitablement présentes dans le sol d'un aquarium en bonne
santé, vont mettre quelques semaines à se développer.
Reste ensuite à obtenir un fonctionnement optimal du dénitrateur.
Pour cela, on tire les conséquences des mesures effectuées
à sa sortie. Le taux de nitrates doit être pratiquement nul
ou très faible, et les nitrites non mesurables. Les dysfonctionnements
possibles sont les suivants :
· Pas de nitrites en sortie, mais des nitrates à
une concentration proche de celle mesurée dans l'aquarium : les
conditions anaérobies ne sont pas obtenues. Le "dénitrateur"
travaille en fait comme un simple filtre biologique en raison de l'excès
d'oxygène. Réduire considérablement le débit
d'eau.
· Nitrates en quantité moindre que dans l'aquarium
et nitrites présents à une concentration supérieure
à 0,1 mg/1 : la dénitrification ne s'effectue que partiellement.
Réduire le débit et ajouter des nutriments.
· Nitrates absents et nitrites en très faible
quantité : réduire légèrement le débit
d'eau pour obtenir une dénitrification complète.
Pour ceux qui ont la chance de disposer du
matériel adéquat, ces considérations pragmatiques
peuvent être corroborées par des mesures de potentiel redox
(rH) dans le dénitrateur lui-même (voir Fig. 4) :
- La dénitrification s'effectue
entre -200 et -50 mV (c'est-à-dire à des rH négatifs).
- Si rH > -50 mV, la dénitrification n'a pas lieu.
- Si rH < -200 mV, à l'odeur tristement caractéristique
(÷uf pourri ... ). Cela peut survenir lors des débuts de
colmatage, peu fréquents, et dans tous les cas où le débit
est trop faible, ou l'apport de nutriments trop important. Quoi qu'il
en soit, les quantités d'H2S produites sont dérisoires
à l'échelle de l'aquarium. En particulier si l'on considère
la capacité d'oxydation du filtre biologique.
Mise en route
difficile
L’emploi des dénitrateurs présente
l'inconvénient principal de la mise en route. Lorsque l'équilibre
est établi, on obtient une réduction effective des nitrates.
Et ce, sans aucun autre entretien que l'apport de nutriments, qui peut
d'ailleurs être astucieusement automatisés. Oublions les
colmatages marginaux, qui n'ont d'ailleurs pour seul désavantage
que l'interruption momentanée du processus.
Une expérience de plusieurs années a montré
l'efficacité du système, en eau douce comme en eau de mer,
pour les discus comme les coraux vivants. Le seul critère à
considérer étant la longévité des animaux,
il ne faut pas oublier que le dénitrateur ne saurait en aucun cas
remplacer un entretien responsable et régulier. C'est le cas en
particulier pour les changements d'eau, qui retrouvent ici un rôle
plus noble : l'apport de macro et oligo-éléments.
Stéphane Fournier, avec la collaboration
de Thomas Mangold
LE DENITRATEUR DANS L’AQUARIUM RECIFAL
Force est de constater que la concentration en nitrates
est l'un des principaux facteurs limitant la longévité des
invertébrés marins en aquarium donc, a fortiori, leur croissance
et leur multiplication. Aussi, l'usage du dénitrateur sous sa forme
"inoffensive" (c'est-à-dire "biologique", par opposition aux résines
échangeuses d'ions) représente-t-il une aubaine pour tout
aquariophile hébergeant des Coelentérés. Redisons
ici que les résines retenant les nitrates libèrent en contrepartie
autre chose, en général des chlorures, ce qui déséquilibre
l'eau. Dans l'aquarium d'invertébrés classique, le dénitrateur
anaérobie est un excellent complément des systèmes
de filtration. Car dans un tel bac, un filtre biologique, généralement
très performant oxyde une grande partie des déchets azotés
en nitrates avant leur écumage. Dans ce type d'installation, le
dénitrateur peut avoir un rôle prépondérant
pour limiter la concentration en nitrates. A ce titre, il est à
considérer comme un élément à part entière
du système. Le problème est fort différent pour les
aquariums de type récifal dont le seul organe d'épuration
extérieur est l'écumeur. Si la période de mise en
route et le peuplement ont été réalisés dans
les règles de l'art, la concentration en nitrates devrait rester
dans des limites très raisonnables. Quand elle est encore mesurable
! Dans ce type de bac, une forte concentration en nitrates (mise à
part l'hypothèse d'une mauvaise qualité de l'eau de dissolution
des sels) est synonyme d'un problème de fond. Autrement dit la
dénitrification qui aurait dû s'installer dans le substrat
et le décor (pierres vivantes) est inopérante. L'installation
d'un dénitrateur anaérobie peut être une solution
intéressante à court terme pour ménager les habitants
de l'aquarium récifal Mais elle ne saurait en aucun cas résoudre
le problème définitivement. En effet le processus de dénitrification
du dénitrateur va concurrencer celui déjà perfectible
de l'aquarium. Le résultat est que l'on risque de se retrouver
avec un équilibre biologique plus précaire que dans un aquarium
d'invertébrés classique... La leçon à tirer
de ce phénomène est que le principe de l'aquarium récifal
ne vaut que si l'on préserve son intégrité. Avis
à ceux qui pourraient être tentés de "l'améliorer"
en ajoutant des artifices techniques ici et là !